Les Habits Noirs est une association ayant des centres d'intérêt diversifiés mais tous centrés autour de la littérature populaire, du roman noir, du polar et de sa diffusion : de l'édition de livres, revues, CD, DVD, sites Internet à l'organisation d'événements destinés à les promouvoir.

En 2012

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lundi 22 septembre 2008

Derniers baisers pour la route


James Crumley, né en 1939 au Texas, est mort voici quelques jours à Missoula, Montana. Issu d'une famille dont le père trime sur une plateforme pétrolière, Crumley exerce divers petits boulots avant de s'engager dans l'armée. Quand il en sort, il enseigne la littérature dans plusieurs universités et commence à écrire. Il a crée deux privés borderline: Milo et Sugrhue.
Crumley a publié un roman incontournable: Le dernier baiser (10x18) et deux recueils de nouvelles, Le canard siffleur mexicain (Série Noire) et P.U.T.E.S (Rivages Noir) qui sont à mettre en avant car l'écrivain se révélait habile sur la distance courte.
Nous l'avions rencontré à plusieurs reprises en France (festivals de Grenoble et Frontignan, notamment). L'homme était sympathique et fidèle à sa légende de gros buveur. On peut d'ailleurs le voir à l'oeuvre dans le docu L'esprit de la route, tourné sur ses terres où, soutenu par son épouse, il fait le tour des bistrots du Montana. Le dernier rade ne possède même pas de vitrine : il faut rentrer dans une cour et pousser une porte pour accéder au zinc. Il ne s'agit plus d'un bar d'habitués ,mais carrément d'une secte. Crumley représentait un polar né à la suite du flower people et des utopies attachées à l'époque. Avec sa disparition, c'est un pan important du Noir US qui s'en va.
Source de la photographie : NYC Photo.

Un autre décès aussi est venu entacher ces derniers jours : celui de Gregory Mc Donald, immensément connu pour sa série Fletch et une série parallèle, chez Mazarine qui met en scène un flic dénommé Flynn, mais définitivement consacré comme auteur d'un terrible chef d'oeuvre du noir avec un roman -adapté au cinéma par Johnny Depp- The Brave.
Ce récit narre comment un indien vivant avec sa famille depuis toujours dans un dépôt d'ordures et une misère totale accepte de signer son arrêt de mort dans un abominable snuff movie en échange d'une poignée de dollars qui, pense-t-il, lui permettra d'offrir quelques menus cadeaux à son fils.
Le fameux "chapitre 3" du livre (que l'éditeur conseille de ne pas lire si on ne se sent pas capable de le supporter) est la description, clinique, de ce que le pauvre bougre va endurer en échange de ce qui est une escroquerie par des êtres d'un cynisme et d'une cruauté inconcevables. La suite du roman est la narration des derniers jours que le personnage passe avec sa femme et son fils avant l'abominable tournage.
Cet ouvrage à la dramaturgie épurée est une métaphore parfaite de ce que peut-être toute vie dénuée de sens dès lors qu'elle se trouve en marge d'un système de société qui exige pour qu'on l'intègre, d'y engager intégralement ses corps et âmes afin simplement acquérir les "signes" dérisoire d'essence (la consommation d'objets) qu'il consent despotiquement à concèder.
D'une stupéfiante poésie (fort bien traduit en français -ainsi Mc Donald, avec une folle économie de moyens réussit une magnifique scène de coucher de soleil... sur des détritus,) ce roman-tour de force dénué de tous pathos est à la fois d'une cruauté inouïe, sans rémission et d'une violence pamphlétaire radicale (certains y voient un roman christique, alors que c'est sans doute possible un brûlot anticapitaliste).
Paru initialement sous le titre Rafael, derniers jours au Fleuve Noir, il est désormais disponible chez 10x18 sous son titre original The Brave. Livre qui hante, qui est de ceux dont on se souvient toute sa vie et que l'on range en haut d'une bibliothèque n'osant ni s'en séparer, ni plus jamais l'approcher à l'issue de la lecture tant il semble maléfique, terrifiant, dérangeant... Un modèle pour ce que le roman noir, minimaliste, peut avoir de tragique, de subversif, de nécessaire.
A un journaliste qui lui demandait bêtement "Combien de temps avez-vous mis pour écrire ce livre ?", Mc Donald, qui était déjà âgé, répondit : "Toute ma vie". Il a vendu des millions de Fletch, mais n'a écrit qu'un seul The Brave. Sans doute a-t-il vécu pour cela. Alors à la différence de Rafael, Mc Donald n'aura donc pas vécu pour rien. Respect absolu.

1 commentaire:

Ludovic Renaud a dit…

Mac Donald (dont le traducteur est Jean-François Merle que j'ai rencontré et qui me disait le mal qu'il avait eu à se remettre de la lecture et de la traduction de Rafaël derniers jours) est un roman bouleversant (l'éditeur François Guérif me disait -le gars qui a rencontré les grands parle ! - la colère qu'il contenait d'avoir "raté" cette publication chez Rivages), un vrai roman noir comme on en lit que quatre ou cinq dans une vie et qui vous hante à jamais. Je n'ai de cesse que de le conseiller à tout va sans pouvoir encore aujourd’hui le relire (j'y suis arrivé deux fois, une fois pour la découverte et une autre pour une critique...).
Bref, pour moi, Mac Donald est l'auteur d'une oeuvre, je n'ai pas le courage, ni l'envie d'ouvrir un Flecht.
Le prix de la misère baisse inexorablement et personne n'ose s'y attaquer, même avec les dents !
François Braud

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